Secteur privé : repenser la place donnée à l’analyse des risques

Analyse de risques

L’analyse des risques à l’échelle interne pour dépasser les recommandations nationales

A l’instar des précédentes crises (qu’elles soient liées au terrorisme ou de nature économique), la pandémie du Covid-19 a surpris la plupart des spécialistes et a révélé un manque de préparation, tant sur les capacités matérielles et organisationnelles de l’État, des hôpitaux, des entreprises ou encore des organisateurs d’événements, que sur les capacités de résiliences de la société française. A la lecture de différents rapports publiés ces 20 dernières années (Rapports du National Intelligence Council pour les États-Unis ou Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale en 2008 pour la France), il apparaissait pourtant comme évident que le risque pandémique était prégnant et avait été communiqué aux différentes autorités compétentes.

L’impréparation des acteurs du secteur privé est cependant à nuancer, une part importante d’entre eux ayant bien identifié le risque encouru, mais s’étant ni plus ni moins organisés autour des recommandations et directives de l’État, déterminées en réaction à la dernière crise pandémique de 2009 et réactualisées une seule fois en 2011 (Plan National de Prévention et de Lutte « Pandémie Grippale », Octobre 2011).

Cette crise sanitaire est donc l’occasion de nous interroger sur les mécanismes et freins entre, d’un côté, le rôle directif endossé par l’État, et de l’autre, la portée des analyses de risques et des plans de traitement mis en œuvre par les acteurs privés à l’échelle de leur organisation.

Il convient de questionner la dynamique usuelle qui consiste généralement en l’application d’un ensemble de mesures à hauteur des préconisations de l’État, souvent peu prédictives et en réaction à des crises ou incidents avérés :

  • Évolution du plan vigipirate en réponse aux attentats de 2015 et 2016 ;
  • Promulgation de la loi Alliot-Marie relative à la sécurité des manifestations sportives, en réponse aux incidents du match PSG-Caen de 1992 ;
  • Procédure d’homologation des enceintes accueillant des manifestations sportives après le drame de Furiani en 1992 ;
  • Création des visites de sécurité pour les ERP de 5ème catégorie avec locaux à sommeil rendues obligatoire en 2004 suite à l’incendie du centre équestre de Lescheraines.

De ce fait, une analyse de risque propre à chaque entité devrait constituer la première étape de la création d’un schéma directeur sécurité (entendu dans sa globalité et intégrant les aspects sûreté, prévention, santé, sanitaire …).

L’absence d’une telle démarche conduit généralement à la reproduction de dispositifs de sécurité communément déployés, sans mesurer leur pertinence par rapport à un contexte qui leur est propre, ou en se limitant aux recommandations génériques des autorités.

 

Rationaliser la mécanique d’arbitrage dans la sélection des contre-mesures

Si la nécessité de conduire une analyse de risque est indiscutable, sa méthodologie, son rendu et les compétences des personnels qui en ont la responsabilité doivent faire l’objet de nouvelles réflexions.

L’exercice a vocation à proposer une cotation des scénarios de risque en prenant en compte la probabilité liée à leur survenance et l’impact de leurs conséquences. Cependant, au moment d’arbitrer les plans de traitement qui en découlent, cette règle est souvent revisitée par le rapport entre probabilité et investissement.

Dans les faits, les scénarios de risque ayant une occurrence plus faible mais dont les conséquences seraient lourdes pour une organisation sont souvent partiellement traités, en raison du coût qu’ils engendrent, de la complexité des contre-mesures à déployer ou de la politique marketing de l’entreprise. En particulier, le paradigme de l’approche budgétaire des dispositifs de sécurité doit être amené à évoluer, en considérant ces dépenses comme des investissements sur le long-terme, capable d’assurer la continuité d’activité ou la reprise rapide d’activité, réduisant ainsi l’impact financier malgré la survenance d’une crise.

Dans cette démarche, le fonctionnement et la composition des directions ou départements sécurité doivent être réévalués. La place et le poids de ces fonctions au sein d’une organisation doit être valorisée et est un élément déterminant dans les arbitrages réalisés entre les propositions des experts et la sélection des contre-mesures adaptées.

 

Adopter une approche globale des risques

La pluridisciplinarité des experts en charge d’une analyse de risque, et des champs qui y sont traités, semble indispensable et doit être considérée comme un critère déterminant. Les différents spectres de la sécurité (au sens large du terme donc), doivent être traités en commun dans une analyse globale, afin d’éviter une hiérarchisation des contre-mesures dictées par l’actualité.

En réaction à l’apparition de crises successives, les analyses de risques et plans de traitement ont tendance à considérer les menaces les plus récentes au détriment des autres. Depuis 2015, la sûreté a pris une place prépondérante par rapport aux aspects secours, santé, prévention, sécurité. Avec la crise du COVID-19, il est fort à parier que les aspects sanitaires soient traités non pas en complément mais au détriment de la prévention, de la sécurité et de la sûreté.

Un traitement global des risques, sans oubli d’une des fonctions des 4S (sécurité, sûreté, secours, santé), résultera logiquement dans la création d’un plan de traitement global. Afin de développer les capacités de résilience de la société française, de nos entreprises et des organisateurs d’événement, les différentes composantes de la sécurité doivent être considérées comme un enjeu unique, pour éviter la création de plans de continuité d’activité spécialisés qui se superposeraient les uns aux autres, sans interaction et réflexion commune.

Dans le cadre du traitement global des risques, le partenariat entre les secteurs privés et publics reste par ailleurs indispensable, chacune des parties disposant de ses propres prérogatives et moyens. Cette coopération est particulièrement nécessaire pour des scénarios spécifiques de risque à gravité élevé, dépassant les prérogatives des acteurs privés, qui peuvent paradoxalement posséder plus de moyens, voire de compétences, pour les mettre en œuvre.